Callianthus

View Original

Pour une symbolique de la couronne đź‘‘

Aujourd’hui, nous nous retrouvons pour un article quelque peu inattendu sur la symbolique de la couronne.

Pourquoi donc me direz-vous ?

Eh bien, parce que la semaine dernière un ami m’a partagée la vidéo qu’il avait prise au mariage de tradition orthodoxe de ses cousins. Dans cette vidéo, on voit l’officiant poser une couronne sur la tête des deux mariés. Et cela m’a interrogée. Forcément, je me suis dit qu’il fallait que j’aille voir la symbolique derrière ce rite ! J’en profite donc pour faire un article à propos de cet objet unique qu’est la couronne..

GÉOMETRIE OU OBJET ?

C’est une question primordiale qu’il convient de se poser : à quoi se rapporte la forme de la couronne ? Au cercle. Et déjà là, nous avons une sacrée piste pour explorer son symbolisme. Le cercle, de façon assez sommaire en symbolique se rapporte à la perfection, aux hautes sphères, au divin, aux cieux. Donc on le verra, c’est toujours à garder en tête pendant ce voyage pour remonter à l’origine de cet objet.

GUIRLANDE OU COURONNE ?

Je parie que c’est une question à laquelle vous n’aviez pas pensé ! Et pourtant, ce n’est pas simple de faire la distinction entre couronne et guirlandes, car plusieurs termes grecs désignent l’une ou l’autre indifféremment.

Evidemment, au niveau de la réalisation de l’objet, la couronne est plus grande et peut-être confectionnée avec des éléments qui ne vont pas pour une couronne, comme des fruits.

Mais, la guirlande partage avec la couronne la dimension d’objet sacrificiel. Ainsi, pour “consacrer” la guirlande est utilisée aussi. Notamment lors des sacrifices. Dans un sens d’ailleurs, la couronne n’est rien d’autre qu’une guirlande que l’on enroule. On voit indifféremment des guirlandes et des couronnes pendant les fêtes de Vesta par exemple : les meuniers et les ânes sont décorés, les uns couronnés, les autres enguirlandés ? Également, dans les funérailles, on couronne les morts avec du lierre ou du myrrhe et on pare de guirlandes les tombeaux.

De par sa position privilégiée, au sommet de la tête et de par sa forme circulaire, la couronne véhicule quantité de symboles, normalement rattachés aux divinités. Elle est le résultat d’une récompense, d’une consécration, la couronne unit celui qui est couronné aux dieux, le place très haut au dessus du commun des mortels, qui dès lors, participe de l’espace céleste.

Les personnages couronnés, roi de nos imaginaires collectifs ?

Ici sont représentés Ariane et Bacchus, Bacchus lui remettant la Corona borealis. Extrait du tableau d’Eustache le Sueur trouvé sur le site internet Utpictura18, tous droits réservés.

En effet, des têtes couronnées mythico-mythologiques, c’est sans doute Ariane la plus célèbre ! C’est d’ailleurs étonnant de voir que c’est l’interprétation que l’on a fait d’une constellation, et que selon les civilisations et ères géographiques, on donne à cette dernière une histoire différente. Pour plus de détails à ce sujet, je vous invite à jeter un oeil à cette page :

Mais si l’on revient à notre sujet : la couronne d’Ariane est le cadeau de noces que lui offre Bacchus, après qu’elle se soit retrouvée abandonnée par Thésée. Elle aurait été confectionnée par Aphrodite et les Heures, et sans doute aussi Hephaistos. Selon une version que l’on ne retiendra pas (mais qui est poétique!) il est dit qu’Héphaistos l’aurait sertie de pierres si brillantes qu’elle aurait permis à Thésée de s’orienter dans le sombre labyrinthe. Mais il semble peu probable qu’elle la portât à ce moment là.

Bien plus tard, lorsque Dionysos descend aux Enfers pour en ramener sa mère Sémélé, il s’aperçoit qu’il a emporté la couronne, don d’Aphrodite. Ne voulant pas la souiller par un contact avec le monde des ombres, il l’abandonne en chemin. Quand il retrouve sa mère, il place la couronne parmi les astres.

  • On connait également Alcmène, qui porte une couronne ornée d’une triple lune, longue comme les trois nuits qu’elle a passé avec Zeus, croyant qu’il s’agissait de son mari Amphytrion.

  • On citera enfin Cybèle et sa couronne crénelée, car c’est bien elle la première qui, en tant que divinité poliade, dota les cités de tours.

Maintenant que nous avons fait le point sur ce qu’était la couronne, et qui la porte dans notre héritage culturel, allons davantage dans le détail et explorons les types de couronnes au cours de l’histoire et la façon dont elle était portée, cette fois par les hommes. Car, oui, la matière ou la nature de la couronne ne change pas grand chose à la symbolique mais établit des degrés, des hiérarchies et précise l’origine de la consécration. Parfois d’ordre esthétique, parfois d’ordre social.

Admirez ce magnifique tableau de Dante Gabriel Rosseti qui peint Perséphone.

Je l’avoue, je le confesse, je me suis saisie du prétexte de la grenade pour vous mettre sous les yeux ce tableau que j’affectionne particulièrement.

Pourquoi la grenade ?

Comme je l’évoquais précédemment, on connait différents types de couronnes, qui indiquent une hiérarchie parfois mais aussi une façon de rentrer en contact avec la divinité à laquelle on souhaite s’adresser.

Ainsi, vous porterez des couronnes différentes en fonction des dieux :

  • Une couronne de grenade pour Perséphone

  • Une couronne de myrthe pour Aphrodite

  • Une couronne d’épi de blé pour Déméter

  • Une couronne en feuilles de chêne pour Zeus

  • Une couronne en feuilles de vigne pour Bacchus

  • Une couronne en feuilles de laurier pour Apollon

  • Une couronne en feuilles d’olivier pour Athena

D’ailleurs, concernant Apollon, lorsqu’il obtient sa consécration d’être divin, il se couronne avec le laurier et un autel est élevé à l’endroit même. Le dieu institue les jeux Pythiens dont l’athlète vainqueur à la lutte, à la course ou à la conduite de char, reçoit l’honneur d’une couronne.

Nous avons également vu que la couronne entrait dans cadre des sacrifices, ainsi, lorsqu’on venait consulter l’oracle d’Apollon, à Delphes, on gardait sur sa tête la couronne de laurier, on ne l’enlevait qu’une fois chez soi. Durant le trajet on était comme « sacré » et si l’on était esclave, protégé des mauvais traitements.

Des couronnes militaires ?

Pourquoi, cette fois-ci, je vous impose une photo de style “militaire” ? Parce que, croyez-le ou non, s’il y a bien un domaine où les couronnes sont utilisées, contre toute attente, c’est celui de la guerre !

En fonction des honneurs et des hommages, on en distingue plusieurs types, mais les plus honorifiques sont les couronnes :

  1. Triomphales

  2. Obsidionales

  3. Civiques

  4. Murales

  5. Vallaires

  6. Navales

Puis on distingue les couronnes que l’on remet non aux combattants mais à ceux qui procurent au vainqueur les honneurs du triomphe.

  • Triomphale : en or, elle est accordĂ©e au gĂ©nĂ©ral qui s’en pare le jour de son triomphe. Au dĂ©but, elle est de laurier parce que l’état est pauvre : l’olivier est consacrĂ© Ă  Minerve, dĂ©esse de la guerre.

  • Obsidionale : c’est celle que prĂ©sentent les assiĂ©gĂ©s au gĂ©nĂ©ral qui les a dĂ©livrĂ©s : elle est fait avec le gazon cueilli dans l’enceinte mĂŞme de la ville qui a Ă©tĂ© victime du siège. Pour certains, cette couronne de gazon est la plus digne des exploits militaires. Par exemple, lors de la deuxième guerre punique, Quintus Fabius Maximus, qui contraint les Carthaginois Ă  lever le siège de Rome, se voit dĂ©cernĂ© par le SĂ©nat une couronne de gazon.

  • Civique : c’est celle qu’un citoyen reçoit d’un autre citoyen duquel il a sauvĂ© la vie lors d’un combat. C’est « la plus illustre dĂ©coration du courage militaire et l’emblème de la clĂ©mence impĂ©riale Â» Elle est composĂ©e de feuilles de chĂŞne parce qu’autrefois l’homme se nourrissait de glands. C’est un tĂ©moignage de reconnaissance, on dit que le chĂŞne se trouve aisĂ©ment lĂ  oĂą les combats se livrent d’ordinaire. Aussi, nous l’avons vu, le chĂŞne Ă©tant l’arbre de Zeus, il Ă©tait logique que cette couronne rĂ©compense le sauveur d’un citoyen. Quand on a reçu cette couronne, on peut la porter constamment. Et quand le couronnĂ© entre dans les lieux oĂą se cĂ©lèbrent les jeux la coutume veut que tout le monde se lève, y compris les sĂ©nateurs près desquels il peut s’assoir.

  • Murale : c’est celle que le gĂ©nĂ©ral dĂ©cerne au soldat, qui, le premier après avoir escaladĂ© le rempart , a pĂ©nĂ©trĂ© dans la ville ennemie.

  • Vallaire : elle rĂ©compense le soldat qui le premier est entrĂ© dans le champ de bataille ennemi en combattant.

  • Navale : elle rĂ©compense le premier soldat qui, lors d’un combat naval, s’est jetĂ© sur le bateau ennemi les armes Ă  la main. Elle est ornĂ©e de proues.

  • Ovation : faite de myrrhe, elle ceignait la tĂŞte des gĂ©nĂ©raux qui entraient dans Rome avec les honneurs. Ici, l’ovation se substitue au triomphe quand la guerre n’a pas Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e selon les règles habituelles, que l’armĂ©e ennemie n’était pas au complet. Autrement dit quand la victoire a eu lieu sans effusion de sang.On pense qu’une branche de myrrhe consacrĂ©e Ă  VĂ©nus suffit Ă  rĂ©compenser une victoire si facile. Ainsi, on rend hommage Ă  la dĂ©esse de l’amour plutĂ´t qu’au dieu des combats.

Des couronnes chez les chrétiens ?

Après les romains, cap chez les chrétiens. Et pas uniquement chez les martyrs dont l’auréole de lumière divine jouerait le même rôle.

Non, ici, nous voici venus à ce que nous intéressait en tout premier plan : comprendre pourquoi dans la tradition orthodoxe, on ceignait la tête des mariés d’une couronne. D’abord, il nous faut revenir à la symbolique primordiale, celle du cercle, retrouvée aussi dans les anneaux. Le cercle n’a ni début ni fin, ne peut pas être rompu, ou scindé, tout comme l’amour des mariés qui s’unissent. Le modèle de l’amour conjugal étant celui du Christ et de l’Eglise.

Saint Paul affirme la correspondance entre l'union dans le mariage de l'homme et de la femme en une seule chair, et le grand mystère de l'union du Christ Ă  son Église :

Dans l’orthodoxie, cela s’incarne avec la couronne, car une partie du sacrement y est même réservée. Il s’agit de la deuxième partie de la cérémonie du mariage, après les fiançailles et les échanges des anneaux.

Durant cette étape de couronnement, la tête des époux est couronnée par le prêtre, devant les Evangiles.

Ici, deux variantes concernant notre couronne ( et nous revenons ainsi au début de cet article : la matière varie ! )

  1. Dans la tradition russe, les couronnes sont en or ou en argent.

  2. Dans la tradition grecque, on utilise des couronnes de feuilles et de fleurs. Sans doute en rapport avec l’héritage mythologique ?

Les couronnes sont ainsi des couronnes de joie, comme nous l’avons vu elle sont associées au sème de la victoire depuis des siècles, à des événements heureux. Mais dans la tradition chrétienne, elles sont aussi des couronnes de martyre, car ici le mariage implique le sacrifice de soi accompli par chaque partie.

Couronne de martyrs car comme je l’ai évoqué, les martyrs sont systématiquement représentés dans la tradition orthodoxe “couronnés” d’une auréole. Ce sera sans doute l’objet d’un futur article !

Enfin, à la fin de la célébration, le couple nouvellement marié boit de la même coupe de vin. Cette coupe commune est un symbole du fait qu'à partir de ce moment-là, ils feront vie commune.

Voila, moi en tout cas mon mystère est résolu et j’aurai appris plein de choses, j’espère que vous aussi!