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Pour une symbolique du gris, tu connais l’Eigengrau? 🩶

Aujourd’hui, on se retrouve pour une brève histoire du gris. Adpatée d’une conférence de Michel Pastoureau, donnée pour la fondation de l’Hermitage intitulée “Gris, couleur de l’ombre”

Cela nous aidera à comprendre peut-être ce mécanisme fascinant appelé Eigengrau, qu’on appelle aussi “lumière intrinsèque” qui désigne la couleur vue par l’oeil humain dans l’obscurité totale. Oui, car même en l'absence de lumière, un potentiel d’action est transmis le long du nerf optique, ce qui donne la sensation d'un gris foncé uniforme.

On peut donc se demander quelle importance accordaient ces civilisations au gris. Car, comme nous, il leur suffisait de fermer les yeux pour y accéder. Nous allons voir que l’histoire du gris est compliquée.

Avant il n’existe pas vraiment, après il n’existe plus vraiment.

C’est aux alentours du Moyen Age qu’il se pare de ses lettres de noblesse. Fin 14e jusqu’au 16e, il a davantage de bons aspects que de mauvais.


Ce qui change tout pour l’histoire du gris c’est l’apparition du livre imprimé. Car c’est à ce moment là que le couple blanc/noir devient plus fort celui blanc/rouge.

DÉFINITION

Lorsque l’on définit le gris, il est toujours présenté comme le mélange de toutes les couleurs, il n’a pas de rapport avec le blanc et le noir : jusqu’à la fin du MA le contraire du noir c’est le rouge. Il n’y a pas de pallier intermédiaire que est le gris.

Le noir et le blanc sont d’abord pensés comme des couleurs un peu particulières, pas tout à fait comme les autres ( peintres de la Renaissance ) puis formant un couple de contraires à elle deux.

Lorsque l’on fait des listes de couleurs, à partir de la découverte du spectre, le noir le blanc et le gris n’apparaissent plus.

A parir du 17eme on commence à avoir beaucoup de dictionnaire et d’encyclopédies qui nous donnent une définition du mot gris : cela tourne toujours autour de la même idée : “couleur qui est située entre le blanc et le noir.”

Mais si l’on creuse, le gris a davantage à voir avec le blanc, peu avec le noir.

Aussi, on connait des hypothèses selon lesquelles le gris est le mélange de toutes les couleurs : tout le monde s’accorde jusqu’au 15e.

Enfin, il est parfois présenté comme une déclinaison foncée du blanc. Parfois comme le contraire du noir.

DU GRIS, OUI, MAIS OU ?

Si l’on réfléchit à ce qui est blanc et noir dans l’Antiquité, la liste est très courte : le plumage de quelques oiseaux comme la pie, le vêtement des mendiants dominicains, les tâches de chiens et bovins.. en revanche concernant le blanc et le rouge la liste est considérable.

En effet, le gris, jusqu’au Moyen Age, n’a pas le statut d’une vraie couleur. Pour l’obtenir il faut attendre l’influence de la culture germanique. En effet, les germains sont de bien meilleurs teinturiers du gris, pas de toutes les couleurs mais notamment du gris, du bleu et du vert.

C’est pourquoi c’est un terme germanique qui s’est imposé pour qualifier le gris. Ce terme apparait entre le 11 et le 12e siècle. Ce n’est pas étonnant car comme nous l’avons dit, avant cela il n’existe pas vraiment.

Mettons les lunettes des populations médiévales : qu’est ce qui est gris ?

  • les yeux beaucoup !

  • les cheveux aussi..

  • les poils de certains mammifères ( oui, c’est très important de pouvoir préciser la nuance de la robe d’un cheval par exemple dans des récits tels que des chansons de geste ) : dans les enluminures le gris est utilisée pour représenter certains animaux comme la baleine et l’éléphant par exemple.

  • les plumages d’oiseaux.

  • les minéraux : le plomb surtout, il est le principal référent de la couleur grise. Mais on pense aussi à l’étain. D’ailleurs, l’étain est très à la mode ( en vaisselle ) à une certaine époque et cela se traduit en peinture, car il permet aux peintres de jouer avec les nuances qu’offrent ce type de métal. On pense aussi à la roche, aux rochers, omniprésents dans le paysage forestier par exemple. Enfin, on peut noter la vogue immense de la vaiselle d’étain qui apparait vers 1360 qui va durer 1 siècle et demi : fini la vaisselle d’or et d’argent : le chic c’est la vaisselle d’étain !

  • les intempéries telles que la pluie et le brouillard.

Mais bien plus que tout ces éléments, ce qui est gris c’est surtout le vêtement, l’étoffe. C’est une grande rupture avec la Rome antique par exemple, qui ne connaissait que très peu d’étoffes grises, ou alors qui n’en faisait pas mention.

Il faut savoir alors que les étoffes grises sont portées à certaines périodes recherchées, elles sont même admirées. Avec cette ampleur, le gris apparait dans les listes de couleur que l’on peut trouver dans les catalogues et encyclopédies. Alors, à cette époque là, au Moyen-Age, le gris est une véritable couleur de deuxième rang.

Quelle symbolique ?

Gardons en tête que chaque époque ajoute sa couche, sans jamais enlever la précédente. Si aujourd’hui on cherche la symbolique “ordinaire” on va trouver beaucoup de choses, parfois tout et son contraire, en fonction des époques. Globalement, plusieurs idées font surface.

D’abord, explorons la plus étonnante : celle de l’ESPOIR. Oui oui, vous avez bien lu. A l’origine de cela : un poème de Charles d’Orléans, qui fait du gris la couleur de l’espoir “J’étais tout vêtu de gris, car espérance en moi revint, qui avant m’avait tant réjoui ”

Mais on note aussi les symboliques de :

  • VIEILLESSE : à cause des cheveux gris mais en référence à l’intelligence, pensons au nombre de grands sages caractérisés par leur chevelure et leur longue barbe grise.

  • CHAGRIN / TRISTESSE : lorsque l’on pense au gris, des murs, du béton, cela n’est pas très évocateur de la joie. Cela est notamment appuyé par l’imaginaire carcéral, que Michel Pastoureau évoque.

  • PAUVRETÉ : ici, il nous faut faire un aparté sur l’ordre des franciscains. En effet, surtout au Moyen Age ils sont présents dans le paysage de la couleur grise. Pour cause, ils choisissent comme “dress-code” la robe non teinte, la laine non lavée, car cela fait écho à leur voeu d’extrême pauvreté. Non lavée, la laine devient par conséquent rapidement grise. Ils sont appelés les frères gris. Saint François est d’ailleurs appelé parfois dans des textes Frère Gris. La symbolique de saleté peut rapidement y être jointe.

Des vertus se joignent à la symbolique énoncée juste ici, notamment :

  • INTELLIGENCE : Dans l’ordre des franciscains, il y a un sous ordre : les capucins. Ils font eux aussi voeu de pauvreté extrême. Le capucin le plus célèbre, Père Joseph du Tremblay était appelé “l’éminence grise” il était dans l’ombre du cardinal Richelieu, conseiller de Louis XII. On disait même que c’était lui qui prenait les décisions concernant le royaume.

  • MORALITÉ : Ici, on voit le symbolisme s’incarner, notamment à travers la pratique de la grisaille. C’est à dire une peinture plutôt grise qui a une influence sur la peinture sur panneaux.

    Ce qu’il faut retenir c’est que c’est une peinture plus retenue, plus morale, plus décente, plus religieuse : une pratique artistique à part entière pour montrer ce que l’on sait faire et exprimer sa dévotion. On note notamment deux scènes qui apparaissent très souvent en grisaille et ce sont les plus “saintes” de toutes. Elles apparaissent lorsque l’on ferme les retables polychromes, pendant les temps de Carême par exemple. On pense évidemment à :

    —> L’Annonciation ( vous pouvez retrouver l’article que j’ai écrit sur l’iconographie de cette scène juste ici )

    —> La Crucifixion.

    À noter qu’au 15e siècle, un peintre qui pratique la grisaille est payé plus cher qu’un peintre qui pratique la polychromie. Cette pratique contribue donc à valoriser le gris.

  • HUMILITÉ : Encore une fois cela transparait chez les fransiscains. Le choix du gris correspondant à la tendance vers un idéal de retrouver la pureté de la vie monastique primitive. On retrouve des vitraux gris dans les monuments d’influence franciscaine.

A notre époque, je ne sais pas si cela peut être considérée comme une vertu mais à coup sûr la notion de progrès transparait :

  • HIGH TECH : en effet, la plupart de nos appareils sont gris, grisonnants et le gris possède à coup sûr, de façon intrinsèque une symbolique plutôt futuriste, qui nous transporte dans un autre monde, virtuel.

Aussi, à des époque plus récentes mais avec des échos anciens, on note le sème de :

  • ce qui est NEUTRE , incolore : comment : la couleur du support sur laquelle on pose des couleurs. Parfois endossée par le blanc, c’est aujourd’hui le gris qui le porte.

Oui, car la découverte de l’imprimerie, c’est le blanc qui va devenir support incolore. Le blanc, a ensuite cessé d’être incolore et c’est le gris qui joue ce rôle.

Enfin, une dimension particulièrement intéressante, qui transparait dans le monde de la peinture est la suivante.

  • SECRET : A partir du 17eme, l’idée d’ombre, de secrets, associée à la couleur grise. Les expressions française reprennent bien cette idée : homme, femme de l’ombre, littérature grise ( que l’on ne montre pas ), zone grise ( que l’on ne voit pas )

Voilà, ce que j’ai retenu de cette conférence, et j’espère que cela vous aura éclairé sur cette couleur méconnue, et assez discrète à laquelle on ne pense pas.