Le prince aux Cinq Armes et le symbolisme bouddhiste

Aujourd’hui, en prévision de l’atelier que nous animerons avec Alexandra Valet sur la symbolique des postures de yoga, je me suis dit que j’aimerais vous emmener avec moi en promenade dans la forêt du prince aux cinq armes, qui possède, parmi elles, un Vajra.

Un Vajra, c’est un foudre, une arme souvent attribuée aux dieux et forgée par le chef de l’Assemblée divine, Indra lui-même. Mais c’est une arme bien singulière puisqu'elle peut être aussi menaçante qu’inoffensive…

Elle est de nos jours utilisée comme support de méditation. Mais pour en découvrir davantage sur l’histoire de ce symbole, je vous invite à venir à cet atelier du 15 janvier.

Mais aujourd’hui, nous allons nous intéresser à la fabuleuse légende du prince aux cinq armes.

La légende

C’est l’histoire d’un jeune prince qui venait d’achever son instruction militaire sous l’autorité d’un maitre d’une très grande renommée.  Le titre de prince aux 5 armes lui ayant été décerné comme symbole de sa distinction, il reçut les 5 armes que lui présentait son maitre. S’inclina, se munit des armes neuves, prit aussitôt la route qui conduisit à la ville dont son père était roi.
En chemin, il atteignit une certaine forêt, à l’orée de laquelle des gens le mirent en garde. Elle abritait un ogre. On l’appelait “Pelage de Glu”. Mais confiant et sans peur, le prince rentra quand même dans la forêt. À mesure qu’il avança, l’ogre se fit entendre puis se montra. Il était haut comme un palmier. C’était une créature répugnante. Il s’adressa au prince :

“Ou vas-tu ? Halte! Tu es ma proie!”

Le prince répondit sans crainte car il avait grande confiance en lui et en ses armes empoisonnées. Ayant menacé l’ogre, il commençait à décocher ses flèches mais elles restèrent engluées les une après les autres dans le pelage de l’ogre. 

Il menaça l’ogre une seconde fois et tirant son épée lui asséna un coup magistral. Mais l’épée s’englua dans le pelage de l’ogre. 

Alors le prince le frappa de sa lance. Elle aussi s’englua. Voyant cela il le frappa avec sa massue. Mais elle s’englua aussi. 

Il dit : 

“Maitre Ogre, tu n’avais jamais entendu parlé de moi auparavant. Je suis le prince aux Cinq Armes. Lorsque j’ai pénétré dans la forêt que tu infestes, je ne comptais ni sur des arcs ni sur d’autres armes : lorsque j’ai pénétré dans la forêt, je ne comptais que sur moi-même. Maintenant je vais te réduire en poussière. 

Ayant ainsi fait connaitre sa détermination il poussa un cri et frappa l’ogre de sa main droite. Engluée. De sa main gauche. Engluée. De son pied droit. Englué. De son pied gauche. Idem. Puis sa tête : elle s’englua aussi. 

Le Prince aux 5 armes est cinq fois pris au piège, solidement englué en cinq endroits. Suspendu au corps de l’ogre. Mais il n’en demeure pas moins inébranlé.

Quant à l’ogre, il se disait : “ Cet homme est un lion, c’est un homme de noble naissance, il n’est certainement pas un homme de commun. Car bien qu’attrapé par un ogre tel que moi, il ne parait ni trembler ni frémir. Depuis le temps que je dévaste ce chemin, je n’ai jamais vu un homme qui le vaille. Pourquoi donc n’a-t-il pas peur ?” 

Hésitant à le dévorer, il demanda au jeune homme : 

“Pourquoi n’as-tu pas peur ? Pourquoi n’es-tu pas terrifié par la crainte de la mort ? 

-Ogre, pourquoi aurais-je peur ? Une chose est, en effet, certaine : en une seule vie on ne meurt qu’une seule fois. Qui plus est, j’ai, dans mon ventre, un foudre. Si tu me manges, tu ne seras pas capable de digérer cette arme. Je mettrai tes entrailles en lambeaux et en pièces et je te tuerai. Et alors nous périrons tous les deux. Voilà pourquoi je ne suis pas effrayé. "


« Nous avons ici l’image d’un héros qui, tout en se laissant entraîner dans les méandres d’une expérience esthétique : les cinq endroits pouvant être les cinq sens, est capable, du fait de sa supériorité intrinsèque, de se libérer lui-même et de libérer les autres. »
— Dr. Coomaraswamy

“Ce que dit le jeune est vrai se dit l’ogre, terrifié par l’idée de la mort. Mon estomac ne saurait digérer la moindre parcelle de chair de ce corps d’homme. Je vais le laisser aller.”

Le futur Bouddha lui prêcha la doctrine, le soumit, l’amena au renoncement de soi et par la suite, en fit un esprit habilité à recevoir des offrandes dans la forêt. Après l’avoir exhorté à la vigilance, le jeune homme quitta la forêt et au sortir de celle-ci, raconta son histoire aux hommes, puis poursuivit son chemin. 

La symbolique de la Cinquième Arme

Le foudre auquel le prince se réfère, c’est l’Arme de la connaissance qui était en lui. Ce Prince n’était autre que le futur Bouddha dans une première incarnation. Le foudre, le vajra, est l’un des symboles majeurs de l’iconographie bouddhiste et il signifie le pouvoir spirituel de la bouddheité : l’illumination indestructible, qui fait éclater les réalités illusoires du monde. Car pour un maitre accompli, il n’est pas besoin d’arme physique, la puissance de sa parole suffit.

C’est pourquoi le vajra est maintenant replié sur lui-même, comme ici :



Dans la mythologie hindoue, le vajra était d’abord l’attribut du chef des dieux Indra, et c’était un foudre très puissant, comme un trident qui pouvait tuer. Maintenant, c’est un outil de méditation pacifique. La parabole du prince aux cinq armes illustre ce thème et nous enseigne que celui qui ne s’en remet qu’à ses seuls talents empiriques et physiques, ou qui s’en flatte, est déjà vaincu.

Symbole du monde dans lequel nous vivons, englués par nos cinq sens, et dont nos organes ne peuvent nous délivrer, Pelage de Glu ne fut maitrisé que lorsque le futur Bouddha n’étant plus sous la protection des cinq armes de son nom et de ses qualités physiques passagères recourut à la sixième arme invisible, sans nom, la foudre divine de la connaissance du principe transcendant, qui est au delà du principe phénomènal des noms et des formes. Dès lors il n’était plus pris au piège mais délivré car ce qu’il se rappela être à ce moment là demeure toujours libre. 

La force du monstre de la phénoménalité se dissipa et en lui s’opéra alors le renoncement à soi-même. 

Renonçant à lui même, il devient divin : un esprit habilité à recevoir des offrandes, comme est divin le monde lui-même lorsqu’il est reconnu, non comme une fin en soi mais simplement comme nom et forme de ce qui transcende tous les noms et toutes les formes, tout en étant immanent entre eux. 


Alors, avez-vous apprécié la marche en forêt et la rencontre avec Pelage de Glu et le Prince ?

Merci pour votre lecture et à très vite pour d’autres légendes aussi épiques que spirituelles.

Sémiologiquement vôtre,

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