Le savant Salomon
Ici la célèbre toile évoquant sa rencontre avec la reine de Saba. Le roi Salomon et la reine de Saba, Donato Créti ( 1671 -1749 ), Huile sur toile – avant 1727.
Je viens de terminer un ouvrage écrit par l’un des mes auteurs préférés, médiéviste de renom : Claude Lecouteux. Cet ouvrage, vous l’aurez deviné grâce au titre, est dédié à la figure littéraire et mythique du roi Salomon.
Si le roi Salomon nous est connu majoritairement à travers les Ecritures, l’auteur s’attache ici à élargir l’horizon littéraire en rassemblant toutes les sources connues à son sujet, parcourant le Coran, les écrits indiens, russes, serbes ou encore perses. Je partage ici la façon dont l’auteur présente son projet :
« Schlomo pour les Hebreux, Sulaymân pour les Arabes, Salomo pour les Grecs et les Latins… peu de souverains ont laissé une empreinte aussi profonde dans les légendes et dans les contes que le roi Salomon. Tour à tour prophète élu de Dieu, magicien, bâtisseur du Temple de Jérusalem, Salomon tient les démons sous son empire, et règne sur les vents et les animaux. Mais ce fils de David réputé pour sa sagesse, auteur de livres de médecine et de lapidaires, n’en est pas moins humain et commet volontiers les péchés d’orgueil, de luxure et d’idôlatrie.
Salomon a toujours fait partie de ces figure littéraires fascinantes à mes yeux, entourés d’une aura de mystère et cristallisant en son sein de nombreux symboles. Je l’ai notamment redécouvert – j’entends ici découvert hors de son rôle biblique stricto sensu qui le définit majoritairement par les jugements qu’il délivre – lors de mes lectures concernant le langage des oiseaux et l’alchimie, dans le cadre de mon mémoire. Mais voyons d’abord comment l’ouvrage est construit. Tout d’abord l’auteur distingue trois Salomon qui ne font pas intervenir les même éléments :
1. Le roi
2. Le magicien
3. Le Salomon des traditions populaires.
Ensuite, l’auteur sous-classe de façon tout à fait éclairante les principaux thèmes intervenant dans la geste salomonienne (en tant que roi)
Partie I : Les sources : Bible, Flavius Josèphe, Mille et Une nuits.
Partie II : Salomon et les animaux.
Partie III : Les constructions de Salomon.
Partie IV : Les jugements de Salomon.
Partie V : Les possessions de Salomon.
Partie VI : Les ouvrages littéraires et scientifiques de Salomon.
Partie VII : Les explorations de Salomon.
Partie VIII : Salomon et les djinns.
Partie IX : Les péchés de Salomon.
Partie X : Salomon et la reine de Saba.
Partie XI : Salomon et la mort.
Partie XII : Salomon chez les Sabbéens.
Ce découpage méthodique m’a vraiment permis d’assimiler les différents aspects du roi. Grâce aux nombreux chapitres consacrés, j’ai pu mesurer l’importance des djinns dans cette geste. Je pensais que l’accent allait être mis sur la faculté que Salomon avait de comprendre les animaux mais c’est bien sa faculté à soumettre les djinns à sa volonté qui ressort le plus dans cet ouvrage. On comprend alors aisément pourquoi c’est le Salomon magicien qui est passé à la postérité. Peut-être également ces esprits peuvent-ils symboliser, cristalliser les parts d’ombres que chacun s’évertue à combattre à force de sagesse et de résilience?
C’est une hypothèse que je formule ici tant la formule ci-dessous est éclairante à ce sujet. Cela peut sembler anachronique au vu de l’époque mais Claude Lecouteux rapproche beaucoup les récits médiévaux et leur part de fantastique, au chamanisme ( voir son ouvrage sur les loups garous Fées, sorcières et loups-garous au Moyen Age et les phases de transformation de la beste en accord avec les trois phases de l’âme pendant les transes). Ce serait alors des symboles à décrypter dans leur réseau de références, comme souvent au Moyen Age.
On a vu en Salomon l’Orphée juif, qui, outre la vertu de poète, possède aussi celle de thaumaturge, doté de pouvoirs magiques, à la fois sur les êtres et sur les objets de la nature. Or chacun sait aujourd’hui qu’Orphée était un chaman.
Claude Lecouteux, Histoire légendaire du roi Salomon, Editions IMAGO, Paris, 2020
Et c’est précisément cette dimension chamanique qui m’intéresse et qui a motivé ma lecture. En effet, l’appréhension de la nature, des animaux, des plantes est assez exhaustive dans une telle démarche Et c’est pour cela que cet ouvrage à sa place sur mon site. Tout cela dans une logique empreinte de sagesse. Et dans une volonté de comprendre. D’apprendre. Mais je me distancie de l’ésotérisme, peu pertinent, qui tend parfois à graviter autour de ce thème. Ici c’est la volonté de compréhension du vivant qui est prègnante.
Même si certains épisodes semblent fort éloignés de la réalité historique du personnage exposée dans les écrits canoniques. Mais quelle réalité au juste ? ? L’auteur nous explique que le Salomon biblique serait en réalité inspiré de la figure d’un roi perse très puissant plusieurs siècles avant la rédaction du Livre des Rois. Alors je finirai par reprendre les mots de l’auteur, qui rentrent en parfaite adéquation avec le propos de ce site et de mon rôle ici. En effet au centre de ma démarche, l’Herméneutique, nommée d’après Hermès, le dieu messager de l’Antiquité.
Mais le plagiat, la réécriture, l’imitation ne sont-ils pas la rançon de la gloire posthume du fils de David qui reste dans les mémoires, certes le bâtisseur du Temple de Jérusalem, mais avant tout un second Hermès Trismégiste, un maître des arcanes?
Claude Lecouteux, Histoire légendaire du roi Salomon, Editions IMAGO, Paris, 2020,
Ainsi Salomon s’est démarqué par sa connaissance, qu’il voulait la plus exhaustive possible, il voulait tout comprendre, tout étudier, du langage des animaux qu’il comprenait jusqu’au moindre détail de l’abîme terrestre et du ciel le plus haut. C’est un des thèmes que l’auteur aborde dans « Les explorations de Salomon. » A l’instar d’Ulysse qui descend aux enfers, Salomon descend au fond de la mer explorer ses secrets.
Plusieurs récits différents narrent cet épisode :
On dit qu’il fit fabriquer une bouteille de verre, s’assit dedans et demanda à ses conseillers ( ou sa femme ) de tirer sur la corde autour de la bouteille pour qu’il puisse remonter lorsqu’il le demanderait. Il trouva le monde d’en bas merveilleux et admira l’ordre qui régnait parmi les poissons. On dit qu’il raconta tout cela aux membres de son conseil et qu’à partir de son retour de la mer, il réorganisa l’intégralité de son armée et vainquit tous les rois. Qu’il s’érigea comme le plus puissant des rois.
Cette envie de tout connaitre, pour l’assouvir, il n’eut d’autre choix que de soumettre des entités dont il est très proche. Les animaux et les djinns. En effet, en plus de comprendre le langage des oiseaux il se sert des volatiles pour explorer le mode sans avoir à se déplacer. En témoigne le célèbre épisode de la huppe explorant le territoire de la reine de Saba pour lui. Mais il existe d’autres entités importantes pour lui permettre d’accroitre son pouvoir sur le monde. En effet, un épisode raconte qu’il demande à plusieurs djinns différents d’aller explorer les coins du monde pour lui et de lui rapporter tout ce qu’ils avaient vu.
Il les maitrisait grâce à une bague que les anges lui avaient remis. De chaque point cardinal, un groupe d’anges avait ramené une pierre qui permettait à Salomon de maitriser un groupe de djinns. Il avait fait monter les quatre pierres sur une bague qui agissait comme une chaine aux cous des djinns lorsqu’il leur présentait.
Cela nous permet d’introduire un élément important dans la vie du roi, sans doute sa rencontre la plus célèbre après la reine de Saba : le roi des djinns Asmodée. Cette rencontre survient au moment ou Salomon souhaite construire le Temple de Jérusalem. Le roi est embarrassé car il ne doit, pour se faire, n’utiliser aucun outil de fer ou de métal. Il réunit son conseil pour trouver une solution. Il revint des discussions une solution : aller trouver un ver rongeur de pierre : le shamir, qui avait déjà fait ses preuves sur l’acier du pectoral en pierres précieuses du grand prêtre Aaron. Seulement, seul Asmodée connaissait l’endroit ou trouver ce ver. Il fallait donc que Salomon le rencontre. Epouvantable et gigantesque, notre roi dut l’enivrer en faisant passer son vin pour de l’eau afin de l’amadouer. Asmodée avait de grands pouvoirs de connaitre le passé, le présent et l’avenir. Salomon passa, grâce au sceau présent sur sa bague, une chaine au cou du démon et l’emmena à Jérusalem. Là bas, il utilisa le shamir pour construire le temple. Une fois la construction finie Asmodée demanda à Salomon de le délivrer pour qu’il lui enseigne d’autres secrets mais c’était un piège… Asmodée s’assit sur le trône du roi et prit l’apparence de Salomon. Ce dernier fut condamné à errer dans son royaume sans que personne ne lui reconnaisse son statut de roi. Jusqu’au jour où les sages de son conseil reconnurent les pieds du démon ( seule partie qu’il ne pouvait pas changer ).
On pourrait voir dans cet épisode un châtiment imposé à Salomon, réfrenant son orgueil de pouvoir, de puissance, de richesse… En effet si la sagesse du roi est louée dans l’ouvrage et majoritairement reconnue par l’imaginaire collectif , on peut également avoir en tête les descriptions de la Bible décrivant les excès dont il fait preuve : richesse, soieries, pierres précieuses, femmes et concubines… aspects développés dans le tableau que j’ai choisi pour cet article. Il faisait miroir à cette fabuleuse reine elle aussi, noyée parmi ses richesses.
Claude Lecouteux, afin de démontrer l’orgueil du roi narre un épisode particulièrement évocateur : celui de sa rencontre avec l’ange de la mort. On voit alors clairement l‘hubris : les limites du savoir, les limites de la connaissance et à quel point cela peut mener à la perte d’un empire. Il est d’ailleurs dit que le déclin de son empire est lié au fait que ses 1000 femmes ( 700 femmes 300 concubines ) détournèrent son coeur de Dieu. Il laissa ainsi les dieux païens pénétrer son royaume et ne connut plus jamais la gloire d’autrefois.
Mais c’est avant tout en tant qu’homme de lettres que Salomon nous intéresse. Et l’auteur consacre un chapitre à ses ouvrages scientifiques et littéraires. Car Salomon composa un herbier, mais également des poèmes : il est l’auteur présumé du Cantique des Cantiques, un livre de proverbe, un ouvrage de médecine…c’est aussi peut-être par cette diversité qu’il tira sa légendaire sagesse.
L’auteur partage sa tristesse quant au seul héritage moderne de Salomon que l’on peut croiser au détour d’une rue dans une librairie ésotérique : Les clavicules de Salomon. Clavicula Salomonis est donc le nom latin de plusieurs grimoires associés à Salomon, et l’identifiant plus à un sorcier qu’à un roi. On dénombre environ 120 de ces ouvrages. A l’intérieur, sans surprise, on retrouve des sorts pour conjurer les démons, provoquer l’amour, punir ses ennemis… C’est une réalité du roi sur laquelle Claude Lecouteux se penche beaucoup dans son livre.
Mon avis sur cet ouvrage :
C’est une lecture que je qualifierais d’aride. Elle n’est pas facile d’accès si l’on est pas familier des ouvrages universitaires de ce style. Immédiatement après avoir lu l’ouvrage, j’ai eu la sensation d’avoir lu des dizaines et des dizaines de récits différents sur le roi Salomon et non pas d’avoir fait immersion dans la vie du personnage. Ceci dit c’est un parti pris de l’auteur. En rédigeant cet article, je réalise que le classement mis en place m’a permis d’associer beaucoup de mots clés à Salomon, ce qui est, chez moi preuve de la pertinence d’un ouvrage. Ce n’est pas une biographie historique et ma déception réside certainement de ce côté-là mais c’est un ouvrage extrêmement riche pour celui qui désire ouvrir ses horizons européano-centrés intellectuels et spirituels sur le roi Salomon.
Merci de m’avoir lue,