La tulipe, voyage en Orient et vanité !

Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de la chronique bi-mensuelle de Callianthus Lundi Herboristerie

Aujourd’hui, nous parlerons d’une fleur que nous croisons tous les jours en ce moment, que ce soit dans les parcs, jardins des plantes ou jardins des particuliers, une fleur qui va bien avec Pâques et les oeufs en chocolat, le retour du soleil et le chant des oiseaux :

La tulipe!

La tulipe, contrairement aux idées reçues, ne vient pas des Pays-Bas, bien que ce pays possède des milliers d’hectares dédiés à sa culture.

Elle a fait un long voyage, cette jolie fleur, avant de venir à nous, en Occident. En effet, c’est une espèce originaire des chaînes montagneuses d’Asie centrale. Pour preuve, l’âge d’or de l’Empire Ottoman est considéré le lale Devri, c’est à dire l’ère de la tulipe.

La tulipe est connue en Perse depuis longtemps : elle est mentionnée en 1390 sous la plume du poète Hafiz et dans d’autres ouvrages encore plus anciens.

Pour qu’elle voyage en Occident, il nous faudra attendre le XVIe siècle.

Le dialogue entre Orient et Occident se trouve ici, dans les jardins d’été de Soliman le Magnifique, à Andrinople. Soliman considère la tulipe comme un pur joyau. Elle orne les soieries multicolores des manteaux de la cour et les carreaux de céramique de la civilisation ottomane. Chaque année, au printemps, une fête est donnée en l’honneur de la fleur car c’est la fleur préférée du sultan.

À Andrinople, en son statut d’ambassadeur, se trouve Augier Ghislain de Busbecq. Il a déjà vu cette fleur à l’état sauvage ici et comprend rapidement pourquoi elle est la favorite du sultan. Flashback de sa rencontre avec cette fleur, imaginé par l’auteur de 50 plantes qui ont changé l’histoire : Pointant du doigt la fleur, il demanda à un paysan local le nom. Pensant que le flamand admirait sa coiffe le cultivateur avait répondu “tulipan” le nom du turban. Le diplomate avait déjà consigné le nom mais il apprit plus tard que le véritable appellation de la fleur était laale. 

Pour comprendre l’histoire et le voyage de la tulipe il nous faudra retenir deux noms :

Augier Ghislain de Busbecq donc, un ambassadeur flamand en poste à Istanbul.

Charles de L’Écluse, médecin et botaniste flamand ( oui quand même la Hollande vient jouer un rôle dans l’histoire de la tulipe, nous y reviendrons ! ) est un ami de Augier et découvre la tulipe par son intermédiaire. Charles vient de prendre son poste de professeur à l’université de Leyde et commence à propager les bulbes qu’il trouve très intéressants. Il en offre aux scientifiques et aux botanistes amateurs mais rapidement le commerce de la tulipe devient incontrôlable et il refuse de le vendre aux commerçants.

TULIPOMANIA

On a rarement vu une fleur attirer autant les foules et faire autant de dégâts financiers! En 1637, un bulbe s’est vendu l’équivalent de 50 fois le montant d’un salaire annuel moyen hollandais. 

Ceux à qui l’Écluse avait refusé de vendre ont décidé d’y aller de force : ils dérobent la collection. Alors qu’à l’époque les bulbes ne pouvaient être récoltés qu’en été aux cours des périodes chaudes, un marché de spéculation est mis en place et le cours de la tulipe est fixé plusieurs mois à l’avance. La tulipomania cesse lorsque le gouvernement intervient en 1637 par un décret mettant fin à sa commercialisation.

Les prix retrouvent une valeur normale mais la demande ne cesse de croitre favorisant la création de nouvelles variétés. Là aussi on atteint des records, certains catalogues mentionnent plus de 600 variétés.  

Soliman, Augier, l’Écluse, les commerçants flamands… la tulipe en fait tourner des têtes !

Et sa charge symbolique est directement issue de la tulipomanie car la culture de ces fleurs est très à la mode et tourne à l’obsession chez les gens fortunés. 

Le genre pictural de la vanité apparait justement vers 1620 à Leyde pour se répandre ensuite dans toutes les Flandres et en France. Coïncidence ?

Pour le savoir, tournons-nous du côté de la littérature. Et allons rencontrer Jean de la Bruyère.

En littérature c’est Jean de la Bruyère qui transcrit la symbolique de la tulipe à l’époque en brossant un portrait satirique de l’amateur de tulipes dans ses Caractères. Avec ce guide, vous pourrez lire les natures mortes dans lesquelles elle apparait, différemment.

Elle est par excellence le symbole de la vanité, de la vaine renommée et de l’aveuglement d’esprit.

“D’où il parait que la taupe, pour n’avoir point d’yeux est un symbole de l’aveuglement d’esprit et que la tulipe en est une autre puisqu’il se voit aujourd’hui que ceux qu’on appelle curieux n’ont pas moins de passion pour cette fleur, que pour une belle maitresse. “

Plus loin, il continue de plus belle et pousse la comparaison et décrivant les nombreuses variétés qui existent à l’époque et qui portent des noms plutôt équivoques.

« Le fleuriste a un jardin dans un faubourg, il y court au lever du soleil et il en revient à son coucher, vous le voyez planté, et qui a pris racine au milieu de ses tulipes et devant la Solitaire, il ouvre de grands yeux, il frotte ses mains, il se baisse, il la voit de plus près, il ne l’a jamais vu si belle, il a le coeur épanoui de joie, il la quitte pour l’Orientale, de là il va à la Veuve, il passe au Drap d’Or, de celle-ci à l’Agathe d’ou il revient enfin à la Solitaire ou il se fixe, ou il se lasse, ou il s’assit, ou il oublie de dîner aussi est elle nuancée, bordée, huilée, à pièces emportées : elle a un beau vase ou un beau calice : il la contemple il l’admire. Dieu et la nature sont en cela tout ce qu’il n’admire point, il ne va pas plus loin que l’oignon de sa tulipe qu’il ne livrerait pas pour 1000 écus et qu’il ne donnerait pour rien quand les tulipes seront négligées et que les oeillets auront prévalu. Cet homme raisonnable qui a une âme, qui a un culte, et une religion, revient chez soi fatigué, affamé mais fort content de sa journée, il a vu des tulipes.  »
— Les Caractères, La Bruyère


Mais, tout ne dure qu’un temps et l’engouement pour les tulipes s’affaiblit au dix septième siècle. Et Théophile Gautier, dans son poème La Tulipe (1839 ) nous donne un indice pour le comprendre :

Moi je suis la tulipe, une fleur de Hollande. Et telle est ma beauté, que l’avare flamand, paye un de mes oignons plus cher qu’un diamant. (…) Nulle fleur du jardin n’égale ma splendeur, mais la nature, hélas ! n’a pas versé d’odeur dans mon calice fait comme un vase de Chine.

C’est en réalité du côté des variété sauvages, que l’on dit “de rocaille” que l’on découvre à la tulipe une douce odeur sucrée.

Mais si pas d’odeur alors? Comment se démarquer ? A coup sûr la tulipe a usé de beaucoup de stratagèmes pour marquer les esprits. Enfin, l’homme plutôt, à coup d’hybridation.


Dans l’imaginaire collectif…


C’est grâce à ce procédé que l’on découvre Queen of the Night une variété noire ou plutôt pourpre très foncée. Cette reine a inspiré un roman et deux films, rien que ça !

Née d’une collaboration entre Alexandre Dumas et son nègre habituel Auguste Macquet La tulipe noire a pour cadre la vie politique de la Hollande à la fin du 17eme, sans surprise. Mais surtout le roman suit les travaux que le héros consacre à la fabrication d’une tulipe de couleur noire pour laquelle la société Horticole de Haarlem promet une récompense de 100 000 florins. 

Du côté cinématographique, Christian Jaque réalise Fanfan la tulipe en 1952 avec Gérard Philippe, et le film devient la référence dans le style de cape et d’épée !

Mais ici, aucune référence à la Hollande, le surnom du héros vient du fait que Madame de Pompadour, dont il sauve la vie alors qu’elle est attaquée par des bandits, lui offre en remerciement une broche en forme de tulipe. 

Christian Jaque, décidément fan de tulipe, met en scène un autre héros vêtu d’une cape et avec une épée : Alain Delon dans La tulipe noire. 

Enfin, la tulipe apparait même sur un drapeau ! Elle fait partie de cette liste VIP de plantes qui apparaissent dans la vexillologie, la science des drapeaux aux côtés du cèdre ( Liban ) par exemple.

Ce pays, c’est l’Iran. Adopté le 29 juillet 1980 à la suite de la révolution islamique, le drapeau tricolore iranien : vert pour l’islam, blanc pour la paix, et rouge pour le sang des martyrs arbore en son centre le nouvel emblème national : une représentation stylisée du mot Allah en forme de tulipe, qui remplace le lion solaire impérial. 

Ces quatre croissants qui entourent une ligne centrale verticale sont tous rouges et la forme stylisée de la tulipe ainsi représentée commémore ceux qui sont morts pour l’Iran en se fondant sur une légende selon laquelle des tulipes rouges poussent à partir du sang versé par les martyrs. Le rouge sur les drapeaux possède souvent cette symbolique du sang des martyrs.

En parlant de symbolique “politique” vous connaissez le Kirghiztan? La révolution des Tulipes ça ne vous dit rien ?

C’est le nom donné à la révolution de 2005 dans cet état qui renversa le gouvernement. Une appellation qui s’est imposée après un discours du président qui mettait en garde contre toute “révolution colorée” ( on pense à la révolution des Roses en Géorgie, Orange en Ukraine ou du Cèdre au Liban ).

Alors de la Turquie à l’Iran, la tulipe vous aura-t-elle fait voyager ?

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