Le pin, éternité ou sacrifice ?
Aujourd’hui, pour ce lundi herboristerie, nous nous retrouvons pour parler de pin, et plus précisément du pin sylvestre. Et il a beaucoup à nous dire. Arbre du sacrifice mais aussi de la permanence de la vie, en ce presque printemps, il symbolise le retour de la vie végétative, Tout le monde se réveille et il nous l’annonce, même quand nous n’avons plus d’espoir, en plein hiver, de revoir des prairies recouvertes de fleurs sauvages, son feuillage sempervirens - toujours vert- nous montre le chemin !
Alors partons à la découverte de son histoire.
D’abord, ça veut dire quoi pin et ça vient d’ou ? Et d’abord le pin c’est quoi un genre ? une espèce ? Mettez vos lunettes, c’est parti.
En français, le nom du pin vient du latin pinus qui désigne le pin en général, ou parfois, notamment chez Pline, le pin parasol, considéré comme le pin par excellence. D’ailleurs en allemand pinie ne désigne que le pin parasol. Pourquoi le pin parasol est considéré comme le meilleur me direz-vous ? Pour les fruits précieux, délicieux et très onéreux qu’il donne : les pignons de pin. C’est d’ailleurs son autre nom Pin Pignon. Mais bon, je pense qu’on est d’accord : c’est moins sexy.
Parce que notre pin sylvestre - aussi appelé pin d’Ecosse car présent sur cette unique partie iles britanniques- a lui aussi de quoi se vanter.
D’abord on peut faire un tas de choses avec le pin! En effet, la plupart des conifères sont connus depuis l’Antiquité par la production de leur résine ( ce qui a donné lieu à des mythes que je vous raconte juste après )
Donc la résine qu’ils produisent s’appelle térébenthine. Par distillation de celle-ci on obtient :
Une partie liquide : l’essence de térébenthine, encore utilisée de nos jours pour les peintures et les vernis.
Un produit solide : le colophane, avec lequel les violonistes frottent les crins de leurs archers. Ce nom, il vient de Kolophon, une ville en Asie mineure qui excellait dans la fabrication de ce produit.
Enfin, la poix ! Un mélange de résine et de goudron obtenu par chauffage et distillation.
Donc, à défaut de produire ces petits grains savoureux que sont les pignons, notre pin sylvestre produit : la pomme de pin, en latin, c’est pinea, forme courte pour pinea nux : littéralement noix de pin. En français, la forme qui a longtemps prévalu est pigne encore en usage dans le Midi. Mais qui est-elle cette pomme de pin ?
La pomme de pin est parfaite, et ainsi hautement symbolique. L’architecture l’utilise abondemment et ce n’est pas un hasard. Son aspect est plaisant et harmonieux.
La suite de Fibonacci n’y est pas pour rien. Cette suite mathématique dans laquelle chaque nombre, à partir du troisième est la somme des deux précédents. Mais, si regardez comme les écailles se dessinnent : 8 spirales dans un sens et 13 dans l’autre. C’est immuable. C’est parfait. C’est la Nature.
En sémiologie, la pomme de pin ajoute une nuance à la symbolique du pin, car, juchée sur le haut du sceptre de Bacchus, le thyrse ( le logo de Callianthus ! ) elle représente une supériorité sur les forces de la nature dites élémentaires et enivrantes. Et encore une fois ici ce n’est pas hasard : elle rend le vin plus doux. Oui, les raisins qui poussent dans des régions pinifères ont en effet un goût très doux.
Associée dans le thryrse à des feuilles de vigne elle représente l’exaltation de la puissance vitale et l’éternel retour de la vie. Car associée à Bacchus, elle rappelle son assassinat puis sa résurrection dans le mythe des Titans. Elle représente les forces élémentaires.
Maintenant que nous avons fait connaissance avec Bacchus, plongeons dans les récits mythologiques qui mettent en scène le pin.
On connait le brigand grec Sinis, qui sévit près de Corinthe. Usage plutôt inattendu ( au vu des richesses que l’arbre procure ) Sinis se sert de l’arbre comme….instrument de torture. Oui oui.
Au début de l’isthme se trouve l’endroit où sévissait le brigand Sinis : il courbait jusqu’au sol le faîte de deux pins, y attachait les victimes qu’il avait vaincues à la lutte et relâchait les arbres. Chacun en se redressant tirait la victime de son côté et celle-ci mourrait écartelée. Sinis mourut lui-même ainsi, vaincu par Thésée.
Ovide relate également cette légende dans ses Métamorphoses. Selon lui, il obligeait les voyageurs à courber un pin avec lui puis il relâchait subitement l’arbre qui projetait au loin sa victime et l’envoyait s’écraser au sol.
On connait aussi le mythe de Mélicerte, le fils de Ino et Athamas, roi de Thessalie.
Frappée de folie, Ino se jeta dans la mer, entrainant avec elle son fils Mélicerte. Le corps de l’enfant fut ramené sur la côte par un dauphin qui l’avait porté sur son dos puis suspendu à un pin. Son cadavre fut découvert et enterré par Sysiphe, alors roi de Corinthe, qui lui éleva un autel près d’un pin et lui accorda les honneurs divins sous le nom de Palaimon, considéré comme un dieu marin.
Plutarque, quant à lui, affirme que le corps de Mélicerte fut rejeté par la mer contre un pin, non loin de Mégare, appelé depuis Le parcours de la Belle, en référence au chemin qu’avait fait Ino avec son enfant vers la mer.
Aussi, je vous disais que la résine donna lieu à des mythes, et c’est celui de Pan et Pitys qui nous le raconte. Car dans l’iconographie Pan est souvent couronné de pin, ou un rameau à la main. C’est pour rappeler son amour pour la nymphe Pitys. Un amour qui n’était malheureusement pas réciproque. En effet, la nymphe n’a rien trouvé d’autre pour lui échapper que de se transformer en pin.
Mais selon une autre légende cette nymphe était également aimée de Borée, le dieu des vents.
Après qu’elle se fut donnée au premier, Borée, de dépit la précipita du haut d’un rocher, la Terre eut alors pitié d’elle et la transforma en pin. On considérait que les gouttes de résine de pin étaient les larmes de la nymphe. L’âme de Pitys gémissait à chaque fois que Borée frôlait les branches du pin.
Toutes ces légendes grecques ne sont guère joyeuses, et les deux dernières ne feront pas la différence !
La légende d’Attis, un phrygien aimé de Cybèle, considéré comme la mère des dieux raconte comment la déesse le punit en le frappant d’égarement : il s’émascula lui même et se transforma en pin. Voyez par vous même ce que vous comprenez de cette référence à la légende :
Le pin au feuillage retroussé, à la cime hérissée, cher à la Mère des dieux, s’il est vrai, Attis aimé de Cybèle a renoncé à la figure humaine pour prendre celle de cet arbre.
Des écrits mentionnent un culte isiaque faisant référence à ce mythe, mêlant pin et violettes. Car en effet, la légende nous dit que là ou le sang est tombé, des violettes ont poussé.
Ce culte en fait alors un arbre de mars et de printemps, célébrant le renouveau avec la présence attestée de violettes. Voyez plutôt :
Le pin était enveloppé comme un cadavre de bandelettes de laine et enguirlandé de violettes pour figurer Attis mort.
Enfin, et c’est la dernière légende que nous verrons, nous connaissons des textes qui mettent en scène le châtiment de Marsyas, qui défia Apollon dans un concours de musique. Mais sa prestation à l’aulôs ( une double flûte ) ne put être aussi bonne que celle d’Apollon : ce dernier ne lui montra aucune indulgence. Il l’attacha à un pin et l’écorcha vif.
Hérodote affirme que l’on montrait encore une outre faite de sa peau en Phrygie…
En somme, ce n’est pas tant le sacrifice qu’il faut envisager, mais le présage d’un renouveau, une mort pour une renaissance. C’est l’arbre du supplice initiatique, qui permettra, peut-être l’immortalité.
C’est un des sèmes, l’immortalité, qui apparait très fortement en Extrême Orient. Ce qui continue de s’expliquer par la persistance de son feuillage et l’incorruptibilité de sa résine.
Les taoïstes se nourrissent des graines, des aiguilles et de la résine. Ces “immortels” n’ont alors besoin d’aucune autre nourriture, car selon les textes, elle rend leur corps léger et capable de voler. C’est également ce qu’un proverbe japonais atteste :
Les fleurs des pins du Ciel de la pureté de Jade donnent l’éclat de l’or à qui les mange.
C’est pourquoi c’est lui qui est choisi pour figurer à la porte du cercle du ciel et de la terre, qui figure un séjour d’immortalité au Japon.
Pour finir cet article sur une légende plutôt inattendue, je vous pose la question : saviez-vous que la résine de pin, si elle s’écoule le long du tronc d’arbre et qu’elle pénètre dans le sol, produit, au bout de mille ans, un champignon merveilleux le fou-ling, qui lui même procure l’immortalité ?
Qu’il est riche en légende et en symbolique ce pin ! J’espère que vous en aurez appris sur cet arbre initiatique et que la prochaine fois que vous le rencontrerez vous ne verrez ni ses aiguilles, ni ses pommes de la même façon…